Les géants du Web – Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft, collectent et exploitent d’énormes volumes de données personnelles. Le modèle d’affaires de ces entreprises repose largement sur les données des utilisateurs et leur monétisation
liguedesdroits.ca . D’après le Forum économique mondial, le marché mondial des données personnelles pourrait atteindre 500 milliards de dollars en 2024, signe de l’engouement pour cette « matière première » du numérique cscience.ca . Les formes de monétisation sont multiples : publicité ciblée, profilage comportemental, éventuelle vente/partage de données à des tiers, ou encore offres premium misant sur la confidentialité. Ci-dessous, nous détaillons comment chaque entreprise du GAFAM génère des revenus à partir des données personnelles, en soulignant les pratiques connues et les impacts, notamment au Canada.
Google (Alphabet)
Publicité ciblée et profilage : Google tire l’écrasante majorité de ses revenus de la publicité ciblée. En 2019, environ 84 % des revenus totaux de Google provenaient de la publicité en ligne
. Concrètement, Google analyse les requêtes de recherche des utilisateurs, leurs sites visités (via des cookies ou Google Analytics) et de nombreuses autres données (localisation, vidéos regardées sur YouTube, etc.) afin de bâtir des profils précis et de diffuser des annonces personnalisées. Par exemple, une enquête du Commissariat à la vie privée du Canada a révélé que le service Google Ads utilisait l’historique de navigation d’un internaute sur des sites de santé pour lui afficher des publicités liées à un appareil traitant l’apnée du sommeil – une utilisation de données sensibles jugée non conforme à la loi fédérale journaldemontreal.com
journaldemontreal.com . Ce type de ciblage comportemental repose sur l’idée que ce que vous recherchez ou consultez en ligne révèle vos intérêts, permettant à Google de cibler des messages publicitaires susceptibles de vous influencer journaldemontreal.com . Pour les annonceurs, la valeur ajoutée est immense : Google ne leur facture les annonces qu’en cas d’interaction de l’utilisateur (clic, vue) investopedia.com , et la pertinence du ciblage améliore fortement le rendement de leurs campagnes.
Portée et domination du marché : Grâce à cette stratégie, Google domine le marché mondial et canadien de la publicité web. Au Canada, aucun autre fournisseur n’égale la portée de Google dans la chaîne publicitaire en ligne : plus de 200 milliards de transactions publicitaires sur le Web canadien ont transité par les plateformes de pub de Google en 2022
. Avec Facebook, Google forme un duopole qui capte l’essentiel des dépenses publicitaires numériques amnestyusa.org . En 2024, on estimait que les entités d’Alphabet (Google Search, YouTube...) captaient à elles seules environ 50 % du marché de la publicité en ligne au Canada, contre ~33 % pour Meta (Facebook/Instagram) statista.com . L’essor d’Amazon dans ce secteur vient néanmoins réduire légèrement cette part (voir section Amazon). Au total, Alphabet, Meta et Amazon accaparent 89 % des revenus publicitaires en ligne au Canada, ne laissant que des miettes (6 %) aux médias nationaux iris-recherche.qc.ca – une donnée qui illustre l’impact local de la monétisation des données par ces géants.
Partage ou vente de données : Google affirme qu’il ne vend pas directement les données personnelles de ses utilisateurs
. Son modèle consiste plutôt à vendre l’accès aux utilisateurs sous forme d’espaces publicitaires ciblés. Les annonceurs peuvent choisir des critères de ciblage (mots-clés, intérêts, groupe démographique, etc.) et Google se charge de diffuser l’annonce auprès des personnes correspondant au profil, sans communiquer l’identité ou les renseignements bruts sur ces individus. Néanmoins, des partages de données ont lieu de manière encadrée : lorsque Google sert une annonce via son système d’enchères publicitaires, certaines informations (par exemple un identifiant de cookie pseudonyme et des catégories d’intérêt) sont transmises aux partenaires publicitaires pour sélectionner l’annonce appropriée. Ce processus, commun à la publicité programmatique, a été qualifié de « surveillance commerciale » par des organismes de défense des droits, en raison du grand nombre d’entités qui reçoivent ainsi des données de navigation pour la mise aux enchères en temps réel amnestyusa.org
. Par ailleurs, Google a par le passé conclu des partenariats de donnée avec des tiers – par exemple pour suivre l’efficacité des pubs en magasin grâce à des données de cartes de crédit – mais ces pratiques soulèvent des enjeux de confidentialité et sont surveillées de près par les régulateurs. De façon générale, l’exploitation et l’éventuel échange de données font partie intégrante de la stratégie de monétisation de Google et consorts cscience.ca , même si la vente pure et simple de fichiers de données personnelles ne fait pas partie du modèle déclaré de Google.
Services payants et stratégies liées à la vie privée : Bien que la publicité soit la principale source de revenus de Google, l’entreprise propose aussi des offres freemium ou premium qui modulent l’utilisation des données. Par exemple, YouTube Premium est un abonnement payant donnant accès à YouTube sans publicité – un moyen pour Google de monétiser des utilisateurs autrement qu’en vendant leur temps de cerveau disponible. De même, l’abonnement Google One (stockage en ligne) inclut un VPN visant à renforcer la confidentialité de la navigation internet pour l’utilisateur
. Ces offres montrent que Google peut tirer des revenus directs des consommateurs en échange de davantage de confidentialité ou de services sans publicité. Cependant, il convient de noter que même les clients payants restent généralement soumis à la collecte de certaines données (pour l’amélioration du service, la sécurité, etc.), quoique ces données ne soient pas utilisées pour de la publicité dans le cadre des services payants. Enfin, Google investit massivement dans de nouveaux produits fondés sur la donnée (comme l’intelligence artificielle, qui requiert d’énormes ensembles de données d’entraînement). Ces innovations, bien que n’étant pas de la monétisation directe de données personnelles, sont rendues possibles par la collecte de données utilisateurs, et déboucheront à terme sur de nouvelles sources de revenus (par exemple, des services IA plus performants, financés par des abonnements ou de la publicité contextuelle).
Apple
Modèle centré sur le matériel et les services : Apple se distingue des autres GAFAM en tirant l’essentiel de ses revenus de la vente de matériels (iPhone, Mac, etc.) et de services payants (App Store, Apple Music, iCloud…). L’entreprise a bâti son image sur la protection de la vie privée de ses clients, affirmant que, chez Apple, le client n’est pas le produit. En pratique, Apple collecte aussi des données sur ses utilisateurs, mais ses politiques sont plus strictes quant à l’exploitation commerciale de ces informations. Par exemple, Apple ne partage ni n’achète les informations personnelles des utilisateurs auprès d’autres entreprises pour sa plateforme publicitaire
. Cette plateforme publicitaire intégrée (présente sur l’App Store, Apple News, Bourse, etc.) se base surtout sur des données first party – c’est-à-dire les données que Apple obtient directement de ses utilisateurs (historique de recherche sur l’App Store, téléchargements d’apps, etc.) – et applique des méthodes de ciblage moins intrusives (groupes d’utilisateurs aux caractéristiques communes, sans profilage individuel approfondi).
Publicité ciblée limitée et récente : Depuis quelques années, Apple développe tout de même la publicité ciblée dans son écosystème (par exemple, des annonces sponsorisées dans les résultats de l’App Store). La société insiste sur le fait que ce ciblage respecte la vie privée : les profils publicitaires sont construits sur l’appareil et ne sont pas partagés à des tiers
. Cependant, Apple a été rappelée à l’ordre par les régulateurs pour ses pratiques. En France, la CNIL a infligé en 2023 une amende de 8 millions € à Apple pour avoir activé par défaut des traceurs publicitaires sur les iPhone, sans consentement explicite des utilisateurs lunion.fr
lunion.fr . Ces identifiants permettaient à Apple de personnaliser les annonces dans l’App Store, tant que l’utilisateur n’avait pas désactivé manuellement l’option dans les réglages lunion.fr . Apple a depuis mis ses paramètres en conformité (demande de consentement lors de la première ouverture de l’App Store, etc.), et a déclaré que sa nouvelle manière de diffuser des publicités « donne la priorité à la protection de la vie privée des utilisateurs » lunion.fr . Ce cas montre qu’Apple, tout en se posant en champion de la confidentialité, cherche lui aussi à monétiser son bassin d’un milliard d’utilisateurs actifs via de la publicité – mais en restant dans les limites de son discours pro-vie privée. En 2022, on estimait les revenus publicitaires d’Apple à environ 5 à 6 milliards $ US, une portion modeste de son chiffre d’affaires total mais en forte croissance freelance-informatique.fr . Apple profiterait même de ses mesures pro-confidentialité (comme le blocage du suivi publicitaire par les apps tierces sous iOS) pour renforcer l’attrait de ses propres annonces « respectueuses de la vie privée » auprès des annonceurs
Exploitation des données et services différenciés : Apple n’exploite pas les données personnelles pour les vendre à d’autres ou pour faire du ciblage publicitaire massif externe, mais il les utilise avant tout pour améliorer ses produits et services. Par exemple, l’analyse des usages des utilisateurs sert à optimiser Siri, Plans, ou l’autonomie des appareils, souvent via des techniques de préservation de la vie privée (agrégation, anonymisation différentielle, etc.). Par ailleurs, Apple a réussi à monétiser la confidentialité comme argument commercial. La firme propose dans ses offres premium des fonctionnalités spécifiquement axées sur la protection des données : c’est le cas d’iCloud+, l’abonnement qui inclut Private Relay (relais privé crypté pour naviguer sur Safari sans divulguer son IP) et Hide My Email (adresses email relais jetables). En payant ce service, l’utilisateur bénéficie d’une confidentialité renforcée lors de sa navigation et de ses communications
. Indirectement, donc, Apple génère des revenus en vendant des solutions de protection des données personnelles. Enfin, il faut noter que l’écosystème fermé d’Apple (App Store strict, intégration matériel-logiciel) lui donne un contrôle important sur les données qui y circulent. Cette position lui permet de fidéliser sa clientèle en inspirant confiance, ce qui se traduit par plus de ventes de matériel et d’abonnements. En résumé, Apple monétise les données de façon plus indirecte que les autres GAFAM : son modèle d’affaires principal n’est pas la publicité, mais la valeur ajoutée qu’il apporte en garantissant (jusqu’à un certain point) la vie privée de ses clients fait partie de son argument de vente et donc de sa rentabilité.
Facebook (Meta)
Publicité ultra-ciblée au cœur du modèle : Le réseau social Facebook – et plus largement Meta, qui englobe Instagram, Messenger et WhatsApp – repose presque entièrement sur la monétisation des données personnelles via la publicité ciblée. En 2019, 98 % des revenus de Facebook provenaient de la publicité
. Le service est gratuit pour les utilisateurs, mais ceux-ci « paient » en réalité avec leur temps d’attention et leurs données. Facebook collecte tout ce que l’utilisateur fournit ou fait sur la plateforme : informations de profil (âge, ville, emploi, situation familiale…), contenus publiés (mentions J’aime, commentaires, photos), réseaux d’amis et d’abonnements, etc. En outre, Facebook suit la navigation des internautes en dehors de sa plateforme grâce au pixel Facebook et aux boutons Like/Share intégrés sur des millions de sites web. Ces outils lui permettent de tracer les visites et actions en ligne d’un individu même en dehors de Facebook, afin d’enrichir son profil publicitaire. Le résultat est que Facebook dresse pour chaque utilisateur un portrait comportemental extrêmement détaillé, incluant centres d’intérêts, habitudes de consommation, déplacements, et même des inférences sur des traits sensibles (par ex. opinions politiques, état de santé, origine ethnique ou orientation sexuelle)
blogdumoderateur.com . Ces données sont analysées par des algorithmes pour segmenter les utilisateurs en audiences publicitaires très précises, que les annonceurs peuvent viser (par ex. « femmes de 25-34 ans vivant à Montréal, intéressées par le yoga et ayant récemment eu un enfant »). La puissance de ce ciblage explique que les annonceurs affluent sur Facebook : l’entreprise offre la possibilité de toucher des milliards de personnes avec une précision inédite. Elle génère des revenus à chaque fois qu’un annonceur diffuse une publicité ciblée sur ses applications, typiquement en facturant au coût par clic ou par impression. La dépendance de Meta à ces revenus publicitaires est telle que son modèle économique a été qualifié de « capitalisme de surveillance », où l’utilisateur est à la fois le producteur de données et la cible de la manipulation publicitaire amnestyusa.org
Partage des données et scandales : L’exploitation intensive des données chez Facebook a conduit à plusieurs scandales liés au partage non autorisé de renseignements personnels. Le cas le plus emblématique est celui de Cambridge Analytica en 2018, où l’on a découvert qu’une application de quiz psychologique avait recueilli les données de dizaines de millions d’utilisateurs Facebook (ainsi que celles de leurs « amis »), puis transmis ces données à une firme d’analyse politique sans consentement adéquat. Au Canada, le Commissariat à la protection de la vie privée a conclu que Facebook avait enfreint la loi en ne protégeant pas suffisamment les renseignements personnels de ses utilisateurs et en n’obtenant pas un consentement éclairé pour ce partage avec des tiers
. En effet, à l’époque, Facebook permettait à des applications tierces d’accéder à une vaste gamme de données (liste d’amis, intérêts, photos, etc.) des personnes se connectant via Facebook Login, et ce parfois même sur les amis de ces personnes. Cette permissivité a été jugée incompatible avec les principes de consentement et de minimisation des données. Bien que Facebook affirme aujourd’hui avoir resserré l’accès aux données (audit des applications, restrictions sur les API), l’entreprise partage toujours certaines informations avec ses partenaires commerciaux. Par exemple, des annonceurs peuvent envoyer à Facebook des listes de clients (adresses courriel, numéros de téléphone) afin de cibler ces personnes sur la plateforme (Custom Audiences), et en retour Facebook confirme quels clients sont utilisables pour des publicités. De plus, via le réseau Meta Audience Network, Facebook utilise les données de ses utilisateurs pour cibler des annonces sur des applications et sites externes, partageant là aussi des identifiants techniques avec ces éditeurs partenaires. Si la vente directe de données n’est pas l’activité de Facebook (la valeur est dans le service publicitaire, pas dans un fichier de données en soi
amnestyusa.org ), son modèle implique une circulation de données personnelles à grande échelle entre de multiples acteurs (annonceurs, partenaires, développeurs). Cette réalité a valu à Facebook d’être qualifiée de « gangster numérique » par un comité parlementaire britannique, pointant son mépris initial pour les normes de protection des données theguardian.com . Désormais, sous la pression des régulateurs (RGPD en Europe, loi fédérale à venir au Canada, etc.), Meta offre davantage de contrôle aux utilisateurs (paramètres de pub, possibilité de refuser le suivi hors site via l’outil Off-Facebook Activity…). Néanmoins, la surveillance systématique des comportements reste la pierre angulaire de son modèle d’affaires amnestyusa.org .
Absence d’alternative payante et diversification limitée : Contrairement à Google ou Apple, Facebook/Meta ne propose pas de véritable service premium pour le grand public qui permettrait d’échapper aux publicités. Le réseau est uniformément financé par la pub, ce qui a inspiré la fameuse phrase : « Si c’est gratuit, c’est vous le produit ». Des rumeurs évoquent ponctuellement une version payante de Facebook sans pub, mais aucune offre concrète n’a vu le jour. Par ailleurs, Meta a tenté de diversifier ses revenus (par exemple via le matériel Oculus/Meta Quest en réalité virtuelle, ou des projets de cryptomonnaie comme Libra), mais ces initiatives restent marginales face au mastodonte publicitaire. Instagram, appartenant à Meta, suit le même modèle freemium (monétisation par les pubs insérées dans le fil et les stories). WhatsApp, de son côté, ne comporte pas encore de publicité : initialement facturé via un abonnement symbolique, le service est depuis gratuit et chiffré de bout en bout, ce qui limite son exploitation commerciale directe. Meta explore toutefois la monétisation de WhatsApp à travers des outils pour entreprises (WhatsApp Business API permettant à des entreprises d’envoyer des notifications aux clients, service payant) et envisage possiblement d’y introduire des annonces contextuelles à l’avenir. En somme, Meta reste largement tributaire de la conversion des données personnelles en revenus publicitaires. Son emprise sur le marché publicitaire en ligne canadien est considérable aux côtés de Google et Amazon, comme mentionné plus haut (Meta ~30+ % des parts de marché)
. Cette domination, acquise grâce aux données des utilisateurs, fait l’objet d’une surveillance réglementaire accrue au Canada : en 2024, la Cour d’appel fédérale a confirmé que Facebook avait violé la loi sur la protection des renseignements personnels, rappelant que même les entreprises dont le modèle est fondé sur les données des utilisateurs doivent se conformer aux lois canadiennes journaldequebec.com .
Amazon
Données client au service du e-commerce et de la publicité : Amazon, leader du commerce en ligne, a accumulé au fil des années un volume gigantesque de données de consommation sur des centaines de millions de clients dans le monde. Chaque recherche de produit, chaque clic et chaque achat sur Amazon génère des informations précieuses sur les habitudes d’achat, les préférences de prix, les tendances de consommation saisonnières, etc. Historiquement, Amazon a utilisé ces données surtout pour améliorer l’expérience d’achat sur sa plateforme : par exemple, via la fonctionnalité « Les clients ayant acheté X ont également acheté Y », Amazon pratique le cross-selling en s’appuyant sur les données d’achats groupés par d’autres utilisateurs. Ce type de recommandation personnalisée stimule les ventes et représente une monétisation indirecte des données (en augmentant le panier moyen). Cependant, Amazon est aussi devenu ces dernières années un acteur majeur de la publicité en ligne, monétisant directement ses données clients auprès des annonceurs. Son bras publicitaire, Amazon Ads (autrefois Amazon Media Group), permet aux marques de diffuser des publicités ciblées sur le site Amazon lui-même (bannières, produits sponsorisés en tête de résultats de recherche, etc.) et en dehors (via sa régie et son DSP, qui achètent des espaces sur d’autres sites en utilisant les données d’Amazon). L’atout d’Amazon réside dans ses données transactionnelles : contrairement à Google et Facebook qui déduisent souvent les intentions d’achat, Amazon connait les achats effectifs de ses clients
. En France, on notait dès 2016 qu’Amazon possédait des informations uniques, comme le fait que 40 % des visiteurs du site sont des acheteurs actifs, et qu’il pouvait utiliser ces données d’achat pour cibler de la publicité à la fois sur son site et sur d’autres plateformes publicitaires partenaires paperjam.lu . Ainsi, une marque de cosmétiques peut payer Amazon pour afficher son produit en premier résultat lorsqu’un utilisateur cherche « shampooing » sur Amazon (en sachant que cet utilisateur a déjà acheté des articles similaires auparavant), ou pour recibler sur le web un internaute ayant consulté un produit sans l’acheter. Amazon facture ces services publicitaires aux annonceurs au CPC (coût par clic) ou via d’autres modèles, constituant une source de revenus en hyper-croissance pour l’entreprise. En 2022, Amazon aurait engrangé plus de 30 milliards $ US de revenus publicitaires, faisant de lui le 3e acteur mondial de la pub en ligne derrière Google et Facebook lefigaro.fr . Ce phénomène se vérifie au Canada aussi, Amazon captant désormais une part significative (environ 16 % estimé) du marché publicitaire numérique canadien
Profils de consommation et amélioration du service : Chaque utilisateur Amazon a un profil d’acheteur basé sur son historique : Amazon connaît vos adresses de livraison, vos moyens de paiement, vos abonnements (Prime, Kindle Unlimited, etc.), les catégories de produits que vous consultez fréquemment, votre budget moyen, etc. Ces données servent non seulement à vous proposer des pubs, mais aussi à ajuster l’offre d’Amazon : par exemple, prévoir l’inventaire dans les entrepôts locaux en fonction des prévisions de demande, ou orienter la conception de produits Amazon Basics en repérant les succès des vendeurs tiers. On peut parler d’une monétisation indirecte des données dans la mesure où Amazon convertit sa connaissance client en avantage concurrentiel (meilleure logistique, programmes de fidélité adaptés, etc.) qui se traduit en parts de marché et donc en revenus. Amazon utilise aussi les données vocales et d’usage de ses appareils Alexa (enceintes Echo) pour améliorer ses services et parfois suggérer des produits ou abonnements (ex : abonnement Audible si l’assistant détecte un intérêt pour les livres audio). Toutefois, Amazon affirme ne pas exploiter les enregistrements Alexa à des fins publicitaires sans consentement explicite et a ajouté des contrôles pour que les utilisateurs puissent limiter la conservation de ces enregistrements. Il n’en demeure pas moins que l’écosystème Amazon (y compris Twitch, Whole Foods, Audible, Prime Video, etc.) génère une masse de données hétérogènes (divertissement, alimentation, domicile connecté…) que le groupe peut croiser pour avoir une vision à 360° de ses clients.
Partage et vente de données : Officiellement, Amazon, comme les autres GAFAM, ne vend pas les données personnelles de ses clients à des courtiers de données ou autres entreprises. Les données sont considérées comme un actif stratégique à garder en interne pour conserver l’avantage concurrentiel. Cependant, Amazon partage certaines données par nécessité avec des tiers dans le cadre de son activité : par exemple, lorsqu’un utilisateur achète auprès d’un vendeur tiers sur la marketplace Amazon, le vendeur obtient les informations nécessaires à la transaction (nom, adresse de livraison, éventuellement contact) – ce qui est un partage de données personnelles réglementé par les conditions d’utilisation. De même, les skills (applications) tierces sur Alexa peuvent, avec autorisation, accéder à certaines données (comme les commandes vocales liées à ce service spécifique) pour fonctionner. Amazon a aussi dû coopérer avec des autorités judiciaires et, par exemple, fournir des données de ses sonnettes connectées Ring aux forces de l’ordre dans certaines enquêtes, soulevant des préoccupations sur la vie privée. Mais ces cas mis à part, Amazon traite ses données client comme un trésor à exploiter pour son propre compte. Une controverse notable a concerné l’usage des données des vendeurs tiers : des reportages ont accusé Amazon d’analyser les ventes et tendances des marchands indépendants sur sa plateforme pour lancer ensuite des produits concurrents sous sa marque Amazon Basics. Cela ne relève pas de la vente de données, mais d’une utilisation interne qui a fait l’objet d’enquêtes pour pratiques anticoncurrentielles (au Canada, le Bureau de la concurrence surveille ce genre de comportement).
Abonnements et services premium : Amazon propose Prime, un abonnement donnant accès à la livraison gratuite rapide, à Prime Video, Prime Music et d’autres avantages. Prime n’est pas explicitement un service de confidentialité, mais il modifie la relation d’Amazon avec ses clients : un abonné Prime consomme plus dans l’écosystème Amazon, et en échange Amazon évite de le frustrer avec trop de publicités externes. En réalité, les membres Prime voient aussi des recommandations de produits et promotions ciblées, mais Amazon mise sur une fidélisation long-terme plutôt que sur la monétisation immédiate de chaque visite, ce qui est une autre stratégie rendue possible par les données (Amazon sait qu’un client Prime achètera régulièrement, et adapte son marketing en conséquence). Par ailleurs, Amazon propose des appareils à prix réduit avec publicité – par exemple les liseuses Kindle ou tablettes Fire vendues moins cher « avec offres spéciales » (des écrans de veille publicitaires). L’utilisateur peut payer un supplément pour enlever ces pubs. Cela montre qu’Amazon segmente aussi ses revenus en fonction des préférences de confidentialité de l’utilisateur : soit vous payez le plein prix et vos appareils restent sobres, soit vous tolérez d’être monétisé par la pub en échange d’une remise. Enfin, Amazon vend des services cloud (AWS) et des services aux entreprises qui ne sont pas basés sur les données personnelles des consommateurs – ces branches représentent une grande part de ses revenus totaux, mais sortent du périmètre de la question car il s’agit de données d’entreprise. On peut toutefois mentionner qu’Amazon Web Services héberge une partie des données du secteur public et privé canadien ; Amazon s’est donc engagé à respecter les lois canadiennes de protection des renseignements personnels pour ses activités d’infrastructure aussi.
Microsoft
Modèle diversifié et données moins centrales : Microsoft est parfois le « GAFAM » à part, car son modèle d’affaires traditionnel repose sur la vente de logiciels (Windows, Office) et de services cloud (Azure) plutôt que sur la publicité ou les données personnelles. Une grande partie de son chiffre d’affaires provient de contrats d’entreprise, d’abonnements (Microsoft 365) et de licences. Cela ne signifie pas que Microsoft n’exploite pas les données utilisateurs, mais le rôle de celles-ci est plus équilibré dans son business model. Microsoft a tout de même une présence importante dans la publicité en ligne et le profilage, notamment via Bing (son moteur de recherche) et LinkedIn (le réseau social professionnel qu’il a racheté en 2016). En 2023, Microsoft a indiqué que ses revenus publicitaires (issus de Bing, de MSN/Actualités et de LinkedIn) étaient en hausse, portés par l’attrait de ses plateformes alternatives alors que certaines marques fuyaient X/Twitter
.
Publicité et services gratuits : Sur le segment grand public, Microsoft monétise les données personnelles principalement par la publicité ciblée dans ses services gratuits. Par exemple, les utilisateurs de Outlook.com (service email gratuit) ou de Skype voient des annonces publicitaires ciblées dans l’interface. Ces pubs s’appuient sur certaines données d’utilisation – par exemple, le contenu des emails peut être analysé automatiquement pour filtrer le spam et, dans le passé, pouvait servir à cibler des pubs contextuelles (sujet désormais controversé et abandonné pour Outlook.com, Microsoft ayant annoncé cesser ce type de scanning publicitaire). Bing, le moteur de recherche de Microsoft, collecte les requêtes des utilisateurs et leur historique de navigation (via le navigateur Edge ou des cookies) afin de personnaliser les résultats et la publicité associée. Microsoft vend ainsi des liens sponsorisés sur Bing de façon similaire à Google Ads, bien que sa part de marché reste modeste (autour de 7-8 % des recherches sur desktop au Canada, plus faible sur mobile). Néanmoins, cela représente un revenu significatif. En outre, dans Windows 10/11, Microsoft a intégré des contenus sponsorisés (par ex. des suggestions d’applications dans le menu Démarrer ou des encarts d’actualités personnalisées dans le volet Widgets) qui sont une forme de monétisation par la donnée des utilisateurs de Windows. Ces systèmes s’appuient sur la télémétrie de Windows (diagnostics, usage) et sur votre identifiant Microsoft pour afficher des recommandations ciblées (que ce soit une app du Microsoft Store susceptible de vous plaire, ou un article de MSN sur un sujet qui vous intéresse, accompagné de publicité). Les paramètres de Windows permettent de désactiver en partie la publicité personnalisée liée à l’identifiant publicitaire de l’appareil, mais beaucoup d’utilisateurs laissent les réglages par défaut, ce qui alimente la régie de Microsoft
ginjfo.com . Sur Xbox Live, un service grand public, Microsoft collecte également des données (jeux joués, interactions sociales) qui servent à recommander des jeux ou contenus additionnels (monétisation indirecte en incitant à l’achat) et potentiellement à afficher des publicités dans certaines applications gratuites de l’écosystème Xbox.
LinkedIn et données professionnelles : Le cas de LinkedIn est particulièrement notable. Réseau social à vocation professionnelle acquis par Microsoft, LinkedIn compte plus de 900 millions de membres dans le monde (plus de 21 millions au Canada). LinkedIn monétise ces données de deux façons principales : la publicité et les abonnements premium. D’une part, LinkedIn vend aux entreprises des annonces sponsorisées visibles dans le fil des utilisateurs, ciblées en fonction des critères professionnels (secteur, intitulé de poste, compétences, etc.) fournis par les membres. D’autre part, LinkedIn propose des abonnements payants (Premium Career, Sales Navigator, Recruiter, etc.) qui permettent d’exploiter davantage les données du réseau : recherche avancée de candidats, messagerie directe InMail avec des personnes hors de son réseau, statistiques sur qui a vu votre profil, etc. Ces offres monétisent directement les données des utilisateurs, dans le sens où le client payant obtient un accès étendu aux informations de profil des autres (dans le respect des paramètres de confidentialité). En 2023, LinkedIn a généré environ 6,44 milliards $ US de revenus grâce aux abonnements Premium
, en plus des revenus publicitaires qui, eux, dépassaient 15 milliards $ la même année linkedin.com . Cela place LinkedIn parmi les plus importantes sources de revenus « données » pour Microsoft. En effet, si l’on compare, les revenus tirés de la pub/search de Bing et des contenus MSN étaient estimés à environ 10 milliards $ annuels en 2022 – donc LinkedIn rapporte autant que le reste de la pub grand public de Microsoft. Le modèle de LinkedIn montre comment Microsoft peut monétiser des données personnelles de niche (professionnelles) de manière très lucrative, en vendant des outils de recrutement et de vente fondés sur l’accès aux profils des individus.
Approche respectueuse et partage des données : Microsoft communique régulièrement sur son engagement en faveur de la protection des données. La compagnie a, par exemple, soutenu des lois plus strictes sur la vie privée et s’est conformée dès 2020 aux principes du RGPD européen à l’échelle globale. Cela n’empêche pas Microsoft de collecter de larges quantités de données (notamment via Windows : télémétrie système, commandes vocales à Cortana, historique de navigation si Edge sync est activé, etc.), mais ces données sont en principe utilisées à des fins d’amélioration de produits et de sécurité, plus qu’à des fins publicitaires. Microsoft se distingue des Google/Facebook par le fait qu’une part importante de sa clientèle paie pour ses produits – ainsi, la relation commerciale ne repose pas uniquement sur la pub. Par exemple, un client Microsoft 365 Famille qui paye son abonnement Office ne verra pas de publicité dans les applications Office, et ses emails dans Outlook (version client) ne sont pas scannés pour la pub comme Gmail a pu le faire par le passé. De même, les entreprises clientes de Microsoft Cloud ont des garanties contractuelles que leurs données ne seront pas utilisées pour du profilage publicitaire. Microsoft a aussi implémenté des options de confidentialité granulaires dans Windows (niveau de données diagnostiques « de base » vs « complet », etc.), surtout sous la pression des régulateurs européens. Sur le plan du partage de données, Microsoft, à l’instar des autres, ne vend pas des listings d’utilisateurs à des data brokers. Certaines données peuvent être partagées avec des partenaires via des API – par exemple, un développeur d’app tiers pour Windows peut utiliser l’API Microsoft Graph pour obtenir (avec consentement) des infos sur le profil Microsoft de l’utilisateur afin d’intégrer des services. Microsoft s’est néanmoins gardé d’ouvertures massives de données personnelles type « Open Graph » comme l’avait fait Facebook.
Abonnements premium et absence de pub : Microsoft exploite également le levier freemium/payant pour moduler la monétisation des données. La plupart des services Microsoft existent en version gratuite financée par la pub (ou la collecte de données) et en version payante sans pub. Par exemple, Outlook.com gratuit affiche des encarts publicitaires, tandis qu’un abonné Microsoft 365 Personnel peut profiter d’une boîte mail Exchange Online sans aucune publicité et avec plus de stockage. De même, Skype gratuit intégrait des publicités, alors que les utilisateurs payant un abonnement d’appel ou utilisant Teams (remplaçant de Skype pro) n’ont pas ce genre d’annonces. Sur Windows 10/11, les éditions Professionnel/Entreprise (destinées aux clients payants entreprises) permettent de désactiver davantage de télémétrie et ne présentent pas les mêmes suggestions commerciales que l’édition Famille. Cette stratégie montre que Microsoft monétise l’utilisateur d’une manière ou d’une autre : si vous ne payez pas, vos données ou votre attention seront utilisées (publicités Bing, etc.), et si vous payez, Microsoft s’engage à une expérience plus neutre. Enfin, Microsoft investit dans des domaines liés aux données comme l’intelligence artificielle (ex : intégration de ChatGPT dans Bing) où les données des utilisateurs servent à affiner les modèles d’IA, lesquels pourraient ensuite être monétisés via des abonnements cloud ou premium.
En synthèse, Microsoft équilibre un modèle classique de vente de produits avec une monétisation annexe via les données personnelles là où cela fait sens (moteur de recherche, réseau social, services gratuits). Son empreinte sur les données des Canadien·ne·s est moins visible médiatiquement, mais bien réelle – on se souvient par exemple qu’en 2013, la faille PRISM révélée par Edward Snowden impliquait Microsoft parmi d’autres, donnant accès aux données de messagerie et de cloud aux agences de renseignement. Cela rappelle que la valeur des données n’est pas que publicitaire : elle réside aussi dans le pouvoir qu’elles confèrent, un pouvoir que Microsoft et les autres GAFAM doivent gérer sous le regard des autorités et du public.
Sources
- Office of the Privacy Commissioner of Canada – Enquête sur la publicité ciblée de Google (plaintes concernant l’utilisation de données sensibles de santé)
journaldemontreal.comjournaldemontreal.com . - Amnesty International – Rapport Surveillance Giants (2019) sur le modèle « surveillance capitalism » de Google et Facebook
amnestyusa.orgamnestyusa.org . - Journal de Québec – Décision de la Cour d’appel fédérale confirmant que Facebook a enfreint la loi canadienne sur la vie privée (2024)
journaldequebec.comjournaldequebec.com . - CScience Le Lab – Article « Nos données personnelles : un marché convoité » (2021) sur la valeur des données et la monétisation par les GAFAM
cscience.ca . - Ligue des droits et libertés (LDL) – Article « Pas de quoi contrecarrer le modèle d’affaires des GAFAM » (2022) sur les lois québécoises et le modèle basé sur l’extraction des données
liguedesdroits.ca . - Journal de Montréal – Chronique de Pierre Trudel « Nos recherches sur le web et la publicité ciblée » (2014) expliquant le fonctionnement de la pub comportementale et le cas du ciblage santé par Google
journaldemontreal.comjournaldemontreal.com . - IRIS – Institut de recherche socioéconomique – Note « Portrait des médias au Québec » (2023), données sur la domination publicitaire d’Alphabet/Meta/Amazon au Canada
iris-recherche.qc.cairis-recherche.qc.ca . - Paperjam – Article « Amazon, géant de la pub grâce aux données clients » (2017) sur l’essor d’Amazon Ads et l’exploitation des données d’achat
paperjam.lu . - Blog du Modérateur – Données personnelles détenues par les GAFAM (2018), sur l’ampleur des informations collectées par chaque plateforme
blogdumoderateur.com . - Statista – Statistiques financières GAFAM : répartitions des revenus publicitaires (ex. part de 98 % pour Facebook)
amnestyusa.org et chiffres sur les abonnements LinkedIn Premium statista.com et la publicité d’Apple freelance-informatique.fr . - CNIL (France) – Décision sanctionnant Apple pour les traceurs publicitaires sans consentement (2023)
lunion.frlunion.fr . - Competition Bureau Canada – Précis d’information (2024) sur la poursuite contre Google pour abus de position dans la publicité (statistiques sur le marché canadien)
canada.ca .
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