Le scandale d'un contrat de 310 millions sans transparence
Santé Québec vient de franchir une ligne rouge en confiant ses données les plus sensibles à Microsoft dans le cadre d'un contrat de 310 millions de dollars octroyé sans appel d'offres1. Cette décision, prise dans l'opacité la plus totale, représente un abandon pur et simple de notre souveraineté numérique et une mise en péril des données personnelles de santé de millions de Québécois.
Une dépendance technologique dangereuse
L'emprise croissante des géants américains
Cette décision s'inscrit dans une tendance lourde et préoccupante. Depuis 2011, le Québec a accordé plus de 2 milliards de dollars en contrats d'infonuagique, dont 624 millions à Microsoft et 89 millions à Amazon2. Cette dépendance aux entreprises privées américaines représente une véritable menace à la sécurité et aux droits humains2.
L'utilisation de Microsoft pour les services de santé au Québec n'est pas nouvelle. Le Réseau québécois de la télésanté offre déjà aux professionnels de la santé des outils Microsoft 365, justifiant cette approche par des "orientations gouvernementales visant une utilisation optimale des technologies de l'information"3. Cette normalisation progressive de la dépendance technologique américaine masque mal les risques systémiques qu'elle engendre.
Des risques juridiques majeurs ignorés
Le choix de Microsoft expose directement nos données de santé aux lois américaines les plus intrusives. Le CLOUD Act de 2018 et le Patriot Act de 2001 permettent au gouvernement américain d'accéder aux données personnelles hébergées chez des entreprises américaines, même si les serveurs sont physiquement situés au Québec42. Cette réalité juridique transforme chaque donnée de santé québécoise en information potentiellement accessible aux autorités américaines.
La situation devient encore plus critique avec l'élection de Donald Trump et l'hostilité manifeste de son administration envers le Canada42. Nos données de santé risquent d'être utilisées à mauvais escient, détournées à d'autres fins, ou de subir toute autre forme d'abus, notamment grâce à l'usage de l'intelligence artificielle2.
L'échec d'un processus décisionnel opaque
L'absence criante de transparence
Le processus d'attribution de ce contrat de 310 millions de dollars illustre parfaitement les dérives de Santé Québec en matière de gouvernance. Depuis sa création le 1er décembre 2024, cette société d'État a déjà déboursé plus de 3 millions de dollars en contrats à des firmes privées56, multipliant les mandats octroyés de gré à gré sans justification claire.
Cette pratique soulève des questions fondamentales sur la capacité de Santé Québec à gérer de manière responsable les deniers publics. Comme le souligne Régis Blais, professeur spécialisé dans les politiques de santé à l'Université de Montréal : "Il n'y avait pas déjà une expertise au ministère de la Santé? [...] C'est comme si on recrée un ministère et il faut aller chercher de nouvelles expertises"56.
Des alternatives négligées
L'expérience française démontre que des alternatives européennes existent et peuvent être évaluées sérieusement. Trois fournisseurs français - OVH Cloud, Numspot et Cloud Temple - ont été évalués pour des projets similaires789. Bien que ces solutions n'aient pas été retenues dans le cas français, leur existence prouve qu'il est possible de sortir du monopole technologique américain.
Au Québec, cette réflexion semble totalement absente du processus décisionnel. Aucune évaluation sérieuse d'alternatives souveraines n'a été rendue publique, aucune justification technique n'a été fournie pour écarter d'éventuelles solutions québécoises ou canadiennes.
Les conséquences désastreuses d'un choix irresponsable
Une facture économique insoutenable
L'économie d'argent promise par le recours prioritaire à l'infonuagique privé n'est pas au rendez-vous2. Les coûts de ces contrats technologiques atteignent des sommets vertigineux : 624,7 millions de dollars sur cinq ans pour les contrats avec LGI Solutions Santé10, 637,5 millions pour un contrat d'imagerie médicale11, et maintenant 310 millions supplémentaires pour Microsoft.
Ces montants pharaoniques auraient pu servir à développer une infrastructure souveraine, créer des emplois qualifiés au Québec et construire une expertise technologique durable. Au lieu de cela, nous alimentons les profits d'entreprises étrangères tout en hypothéquant notre autonomie technologique.
La perte de contrôle de nos données stratégiques
En confiant nos données de santé à Microsoft, le Québec renonce à sa capacité de contrôler et de protéger des informations parmi les plus sensibles de sa population. Cette décision contrevient aux principes fondamentaux énoncés dans la propre politique de gouvernance des renseignements personnels de Santé Québec, qui affirme pourtant que "Santé Québec a le devoir de protéger les Renseignements de santé et de services sociaux et les Renseignements personnels qu'elle détient"12.
Vers une souveraineté numérique québécoise
Des solutions existent
La Ligue des droits et libertés a lancé une campagne pour la souveraineté numérique qui propose des solutions concrètes4. Le gouvernement doit "reprendre le contrôle sur l'hébergement de nos données en garantissant une gestion transparente et sécuritaire qui protège les droits humains"4. Cette démarche implique de "mettre fin à la sous-traitance démesurée au privé et développer ses propres infrastructures d'hébergement de données, en priorisant les logiciels libres"4.
L'urgence d'agir
Le temps presse. Chaque nouveau contrat avec des géants technologiques américains nous enfonce davantage dans une dépendance dont il sera de plus en plus difficile de sortir. Le gouvernement du Québec doit immédiatement suspendre ce contrat avec Microsoft et lancer un véritable processus de consultation publique sur l'avenir technologique de notre système de santé.
Une question de dignité nationale
Le choix de Santé Québec de confier nos données les plus intimes à Microsoft n'est pas qu'une décision technique : c'est un abandon de souveraineté qui nous transforme en vassaux numériques. À l'heure où d'autres nations développent leurs propres capacités technologiques, le Québec choisit la facilité au détriment de son autonomie.
Nos données de santé ne sont pas une marchandise à brader au plus offrant. Elles constituent un patrimoine collectif qui mérite d'être protégé par des institutions québécoises, selon nos valeurs et nos lois. Il est encore temps de corriger le tir, mais la fenêtre se referme rapidement.
L'avenir numérique du Québec se joue maintenant. Accepterons-nous de devenir une colonie numérique, ou aurons-nous le courage de construire notre propre souveraineté technologique? La réponse à cette question déterminera non seulement la sécurité de nos données personnelles, mais aussi notre capacité à rester maîtres de notre destin collectif à l'ère du numérique.